La Gambie se dote d'un tribunal hybride

01/04/2024

Le 29 février 2024, le Comité technique mixte Gambie-Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a tenu sa réunion inaugurale sur la création d'un tribunal hybride pour demander des comptes aux personnes responsables des violations flagrantes des droits humains commises dans le pays entre juillet 1994 et janvier 2017, sous la dictature de l’ancien président Yahya Jammeh. Un tel tribunal internationalisé offre l’opportunité pour les victimes et la société gambienne de responsabiliser pénalement aux coupables. Il s'agit également de la dernière étape du parcours de justice transitionnelle de la Gambie.

La Gambie s’est engagée pour la première fois sur la voie de la justice en 2017, après plus de deux décennies de dictature marquées par de graves violations des droits humains. La même année, le gouvernement de transition a créé la Commission Vérité, Réparations et Réconciliation (TRRC) parmi d’autres institutions de justice transitionnelle.

Au cours de son mandat de deux ans, la TRRC a dévoilé les crimes horribles commis par l'ancien régime, notamment les exécutions sommaires, les disparitions forcées, la torture, les viols et autres formes de violations sexuelles et sexistes, ainsi que les détentions arbitraires. La TRCC a publié son rapport final en décembre 2021, et le gouvernement a répondu par un livre blanc en 2022 approuvant la plupart des recommandations de la commission, y compris celles appelant à des poursuites pénales contre des dizaines d'anciens responsables du régime et Yahya Jammeh lui-même.

Poursuivre des individus pour crimes internationaux en Gambie implique cependant de nombreux défis juridiques, financiers, politiques, infrastructurels, techniques et liés à la sécurité. Cela dit, le processus de justice transitionnelle du pays bénéficie de plusieurs opportunités et conditions avantageuses, telles qu'un soutien technique et financier continu de la communauté internationale, une communauté unifiée et bien organisée de victimes qui coordonnent bon nombre de leurs activités sous l'organisation Association des organisations dirigées par les victimes et l'assistance de la CEDEAO. En fait, pour relever les défis mentionnés ci-dessus, le gouvernement gambien a entamé des discussions avec la CEDEAO pour créer un tribunal internationalisé, qui pourrait éventuellement tenir des audiences dans d'autres pays de la région ouest-africaine. Lors d'une réunion tenue début mars 2023, les autorités gambiennes et la CEDEAO ont convenu de créer un comité technique conjoint chargé d'élaborer la législation requise et de déterminer le budget d'un tel tribunal.

La décision de créer un tribunal hybride est essentielle aux efforts de la Gambie pour rendre justice, réparer les victimes et construire une paix durable à plusieurs égards. Premièrement, cela peut grandement contribuer à renforcer la confiance du public dans le système judiciaire gambien et dans l'intention du gouvernement de mettre en œuvre les recommandations de la TRRC. Pendant des années, les victimes et d'autres Gambiens ont douté de l'engagement du gouvernement en faveur de la justice et de sa volonté de soutenir le mouvement Plus jamais ça et ont appelé à des actions concrètes.

Deuxièmement, un tribunal hybride devrait renforcer le système judiciaire du pays et accroître l'accès des Gambiens à la justice en améliorant le cadre juridique afin qu'il intègre les normes et les meilleures pratiques internationales et en renforçant les capacités des acteurs juridiques. Troisièmement, cela peut également envoyer un message fort aux dirigeants de la région de l’Afrique de l’Ouest, où l’instabilité politique est courante, que ceux qui commettent des violations des droits humains seront traduits en justice. Enfin, s'il réussit, en tant que premier tribunal hybride soutenu par la CEDEAO dans son histoire, il devrait renforcer l'engagement de l'organisme en faveur de la démocratie et de la responsabilité et donner le bon exemple aux autres juridictions de la région qui mettent en œuvre une justice transitionnelle et cherchent à poursuivre les auteurs présumés de violations des droits de l’homme.

Pourtant, la justice va bien au-delà de la responsabilité pénale. Le gouvernement gambien devrait également investir dans d'autres formes de responsabilisation, notamment les réparations, la commémoration, les excuses officielles et autres réparations symboliques, afin de répondre aux attentes du public, d'offrir réparation aux victimes et d'ouvrir la voie à la réconciliation nationale.

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PHOTO : Des membres d'organisations de la société civile gambienne discutent de la responsabilité et des réparations lors d'un atelier dirigé par l'ICTJ à Banjul en juin 2022. (ICTJ)