Macrocriminalité et cas de la Colombie : l'ICTJ traduit l'ouvrage fondateur d'Herbert Jäger en espagnol

18/09/2023

La Colombie débat depuis plusieurs années de la manière de traiter les violations massives des droits de l'homme commises au cours du conflit armé interne qui a duré 50 ans. Le nombre de crimes est tel qu'il est impossible d'engager des poursuites au cas par cas, comme le ferait la justice ordinaire. C'est pourquoi la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), le tribunal établi par l'accord de paix de 2016, applique une approche macro-criminelle pour enquêter et poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par d'anciens membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC- EP) et des forces de sécurité. Dans le cadre de cette approche, le SJP regroupe plusieurs crimes en "macro-cas". L'objectif est de révéler des schémas plus larges de macro-criminalité (plutôt que de se concentrer sur des actes individuels ou isolés) et de poursuivre les principaux responsables de ces crimes. 

L'étude de la macro-criminalité est d'une importance vitale pour la justice transitionnelle et plus particulièrement pour l'établissement des responsabilités à la suite de violations systématiques et à grande échelle des droits de l'homme. Les débats en constante évolution autour de cette discipline permettent d'informer et d'améliorer la pratique de la justice pénale en ce qui concerne les atrocités de masse. 

Afin d'encourager ces débats et d'élargir l'accès aux sources de connaissances sur le sujet, l'ICTJ a traduit pour la première fois en espagnol l'essai "La politique est-elle criminalisable?" écrit par le criminologue allemand Herbert Jäger. L'essai a été publié à l'origine par la maison d'édition Nomos en 1998 dans le cadre d'un recueil d'écrits sur la politique criminelle, intitulé "Politique criminelle éclairée ou lutte contre le mal". Jäger, décédé en 2014, est largement considéré comme un pionnier de l'étude de la macrocriminalité (Makrodelinquenz). Il a consacré une grande partie de sa carrière à ce qu'il décrivait comme "la criminalité commise par de grands collectifs, des appareils étatiques de pouvoir et des systèmes politiques très éloignés de la loi". 

Dans cet essai, Jäger explique le phénomène de la macro-criminalité et la manière dont le droit pénal l'a traité. Il aborde la question de savoir si le droit pénal traditionnel est adapté aux enquêtes et aux poursuites relatives à la macrocriminalité, par exemple lorsque l'État ou d'autres acteurs collectifs ciblent systématiquement des individus partageant des caractéristiques communes. Jäger soutient que les accusations pénales pour les crimes de macro-niveau devraient prendre en compte le contexte dans lequel ils ont été commis et chercher à révéler le modus operandi de l'appareil criminel en question, qu'il s'agisse d'un État ou d'un acteur non étatique. À cette fin, il décrit les types de sanctions qui devraient être imposées dans de tels cas, ainsi que la stratégie procédurale à utiliser. Il réfléchit également au rôle du droit pénal national et international dans le démantèlement et la prévention de la macro-criminalité.

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PHOTO : En 2022, la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) a convoqué la première audience de reconnaissance de l'affaire Macrocase 1 impliquant des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité liés à des enlèvements commis par les FARC-EP. Pour statuer sur cette affaire, la JEP a appliqué le concept de macro-criminalité. (Maria Margarita Rivera/ICTJ)