Entendre les témoignages des victimes : une étape significative vers la justice en République centrafricaine

01/02/2024

En 2021, la République centrafricaine a créé la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR) pour établir la vérité, obtenir justice et restaurer la dignité des victimes, en vue de parvenir à terme à la réconciliation nationale. Dans ce pays fragile, meurtri par des épisodes successifs de violences, la justice, au sens le plus large, a toujours été et reste une revendication de toujours des victimes. Après une longue phase d'opérationnalisation, la CVJRR s'apprête enfin à commencer à enregistrer et à entendre les témoignages des victimes. La première étape de ce processus est la prise de déclarations, qui nécessite de prendre en compte plusieurs facteurs clés pour réussir.

La collecte de déclarations constitue généralement la première phase des opérations d'une commission, et elle représente également le cœur de son travail. En effet, les informations extraites des déclarations des victimes, des témoins et des auteurs constituent souvent la base de l'analyse, des conclusions et des recommandations de la commission, qu'elle présente dans son rapport final. Ces informations aident une commission à corroborer les versions des événements, à identifier les modèles de violations et potentiellement à créer un registre unique des victimes.

Le CVJRR ne fait pas exception. L'ICTJ et son partenaire le PNUD ont passé des mois à collaborer avec les commissaires pour finaliser le formulaire de déclaration. Le formulaire étant récemment terminé, il était crucial de l'évaluer pratiquement à travers une phase pilote. A cet effet, l'ICTJ et le PNUD ont co-organisé un exercice de simulation et pilote de formation dans la capitale, Bangui, la semaine du 8 janvier 2024. Lors de la formation, des experts en justice transitionnelle, dont Marion Volkmann et de l'ICTJ Didier Gbery , Salwa El Gantri , et moi-même, avons guidé les commissaires du CVJRR, les victimes, les représentants de la société civile et d'autres experts tout au long de l'exercice et du projet pilote. Les participants ont fourni des commentaires importants, qui ont déjà été intégrés dans le processus de collecte de déclarations, le rendant d'autant plus harmonieux, sensible au genre et spécifique au contexte. Plus important encore, le formulaire ne crée pas d'attentes irréalistes chez les victimes, d'autant plus que la loi créant la CVJRR ne prévoyait pas de mesures de réparation provisoires.

Après avoir témoigné lors du projet pilote, la plupart des victimes ont exprimé leur soulagement. Un homme victime s'est d'abord demandé si le CVJRR fonctionnait ; mais, après avoir participé au projet pilote et raconté son histoire, il a dit qu'il comprenait. Pendant ce temps, une femme victime et leader d'un groupe de victimes, a affirmé que "les commissaires sont là pour nous. Nous devons les aider. Nous sommes ici pour combler le fossé avec les victimes. Nous comprenons que la commission est confrontée à des obstacles financiers et de recrutement, nous pouvons au moins l'aider volontairement pendant la phase d'enregistrement".

Le succès de tout processus de collecte de déclarations ne dépend toutefois pas uniquement de la forme. Ainsi, les séances de travail de la formation ont abordé d'autres éléments critiques, notamment la cartographie des violations des droits de l'homme et la sélection de cas emblématiques, la gestion et l'analyse de l'information, l'intégration du genre, la sensibilisation et l'engagement du public, et bien sûr la santé mentale et le soutien psychosocial.

Le CVJRR a encore un long chemin à parcourir. Dans un pays fragile et peu sûr comme la République centrafricaine, où il est très difficile d’opérer sur le terrain, les obstacles sont énormes. Le CVJRR a besoin de soutien, comme l’assistance technique qu’il a reçue lors de la formation, pour rendre justice tant attendue aux victimes. La recherche de la vérité n’est pas seulement un droit, mais elle peut aussi être une forme de réparation.

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PHOTO : Les commissaires du CVJRR, le personnel du PNUD et les experts de l'ICTJ s'arrêtent pour une photo de groupe le 8 janvier 2024, à l'ouverture de la formation à Bangui. (CVJRR)